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Résolution aimable des différends : Entrée dans une nouvelle ère !

Depuis le 1er avr. 2015, toute assignation (C. pr. Civ., art. 56), requête et déclaration (C. pr. Civ., art. 55) devra être précédée d’une tentative préalable de résolution amiable du litige. Une réforme qui n’est assurément pas neutre pour les praticiens du droit de la famille. Une réforme qui fera date !

Simplification de la procédure civile

1er avril 2015 : une date qui n’a rien d’un poisson d’avril. Elle Correspond à l’entrée en vigueur des art. 18, 19 et 21 du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends. En quoi est-elle si importante ? Elle marque le passage d’une étape Supplémentaire dans l’encrage des modes amiables de règlement des différends dans notre procédure civile. On sait que ces modes amiables sont soit conventionnels (le livre V du Code de procédure Civile est consacré aux modes de règlement conventionnel que sont la Conciliation, la médiation et la procédure participative, sans que Cette liste soit nécessairement exhaustive), soit judiciaires (les titres VI et VI bis du livre I“ du code de procédure civile sont consacrés à la conciliation et à la médiation judiciaires). On sait également que le juge en général peut proposer le recours à une Conciliation ou à une médiation (C. pr. Civ., art. 127 et 131) et, dans certaines matières, enjoindre aux parties de rencontrer un Conciliateur ou un médiateur (C. pr. Civ., art. 128, al. 2 ; C. civ., 255, 2° et 373-2-10, al. 3…), de sorte que des procédures peuvent être pendantes devant le juge et faire en parallèle l’objet d’une tentative de résolution amiable. Mais jamais, sauf à titre expérimental ou dans des procédures spécifiques, le lien n’avait été fait expressément entre le recours au juge et l’échec d’un mode de règlement amiable des différends. C’est maintenant chose faite. Les différents actes introductifs d’instance, qu’il s’agisse d’une assignation, d’une requête ou d’une déclaration, devront, à compter du 1er  avr, 2015, préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige (Décr, n° 2015-282, art. 18 et 19).

Dispenses d’avoir à justifier de démarches de résolution amiable

Cette règle générale de procédure civile n’est écartée qu’en cas de justification d’un motif légitime tenant soit à l’urgence, soit à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public. On comprend l’idée. En matière d’ordre public, ainsi en ce qui concerne l’état et les personnes, les droits sont indisponibles : on ne transige donc pas à leur sujet. Dans certaines matières, comme dans le divorce ou la séparation de corps, un préliminaire de conciliation est déjà intégré dans la procédure. Mais s’agissant du motif légitime tenant à l’urgence, l’appréciation est plus subjective. Il ne suffit pas d’engager une procédure d’urgence, comme une procédure de référé ou une procédure à jour fixe, pour prétendre échapper à l’obligation de préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. En effet, l’urgence à elle seule ne suffit pas. Elle doit se rattacher à l’existence d’un motif légitime qui relèvera de l’appréciation du juge. Inversement, la caractérisation de l’urgence ne passe pas nécessairement à notre sens par l’engagement d’une procédure d’urgence. Il existe, en matière familiale notamment, des mesures urgentes qui peuvent être prises au terme d’une procédure engagée par dépôt d’une simple requête ou d’une assignation en la forme des référés, comme l’ordonnance de protection (C. pr. civ., art. 1136-3 et 1136-4). En cas de motif légitime, pour ces mesures, l’acte introductif d’instance doit donc pouvoir échapper à l’obligation de préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Sanction du défaut de précision des diligences entreprises

Au-delà du domaine d’application de la règle nouvelle, se pose inévitablement la question de savoir quelle sanction est encourue si elle n’est pas respectée. Cette sanction n’est pas la nullité ou l’irrecevabilité de l’acte introductif d’instance. S’il n’est pas justifié des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, les parties s’exposent simplement à Ce que le juge leur propose une mesure de Conciliation et de médiation. Rien de bien méchant diront certains. Qu’on ne s’y trompe pas ! Derrière une règle de forme est en Cause un sujet de fond. Les juges qui Croulent sous les dossiers et dont les conditions de travail se détériorent chaque jour davantage ne vont-ils pas être tentés, à force de ne pas être entendus, de Systématiquement proposer une mesure de Conciliation ou de médiation et même d’enjoindre aux parties, lorsque la matière le permet, de rencontrer un conciliateur ou un médiateur ? Les parties vont-elles y trouver leur compte alors que la désignation d’un Conciliateur ou d’un médiateur conduira à allonger encore la procédure, ce qui peut faire le jeu du défendeur non pressé de voir le litige se régler ? Quelle solution alternative offriront les avocats qui ne pourront plus, à ce stade, vanter les mérites d’une convention de procédure participative, par hypothèse inapplicable lorsqu’une procédure a déjà été engagée et qui ne fait pas partie des modes de règlement amiable que le juge peut proposer ? Certes, On peut imaginer échapper à la sanction en régularisant la situation à l’image de ce qui se passe pour les fins de non-recevoir (C. pr. civ, art. 126, al. 1″). Mais si l’omission dans l’acte introductif d’instance n’est pas que formelle et que dans les faits aucune tentative de règlement amiable n’a eu lieu, cette régularisation est illusoire. Comment créer après-coup l’inexistant ?

Travailler autrement pour l’avocat : une nécessité

Plutôt que de chercher à savoir comment échapper à la Sanction, les praticiens du droit doivent s’emparer plus que jamais des modes de règlement amiable des différends. Les avocats en particulier doivent être convaincus de cette nécessité. Ils ont tout à y gagner. D’une part, les avocats seront les prescripteurs principaux des modes amiables. En effet, quand un justiciable va s’adresser à un avocat pour engager une action en justice, ce professionnel va naturellement lui proposer de recourir préalablement à un mode amiable en expliquant à son client qu’il s’agit d’un point de passage obligatoire. Il examinera avec lui le mode de règlement amiable le plus approprié à la situation sans se cantonner aux seules conciliation et médiation que le juge peut proposer. Si le décret du 11 mars 2015 oblige à justifier d’une tentative de résolution amiable, il n’impose pas le recours à un mode plutôt qu’à un autre. Parmi les modes amiables figurent également la pratique du droit collaboratif et la Convention de procédure participative, modes de règlement auxquels les avocats Sont formés et Continuent à se former. Le décret offre même une faveur aux avocats qui s’engagent dans la voie d’une Convention de procédure participative après la délivrance de l’assignation en suspendant le délai de quatre mois pour procéder à la mise au rôle avant que l’assignation ne devienne caduque (Décr n° 2015-282, art. 22). Ne peut-on pas y Voir une sorte de Session de rattrapage qui pourrait permettre, après la délivrance de l’assignation, de justifier les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige et donc de satisfaire après coup la nouvelle exigence posée par le décret du 11 mars 2015 ? D’autre part, les avocats qui sont fréquemment les rédacteurs des actes introductifs d’instance devront rapporter la preuve des diligences entreprises pour tenter d’arriver à une résolution amiable du litige. Cela suppose qu’ils connaissent et qu’ils maîtrisent les instruments permettant d’y parvenir avec la spécificité propre à chaque mode de règlement. Il n’est pas question, par exemple, de révéler le Contenu d’une médiation qui n’a pas abouti. Au contraire, dans le cadre d’une convention de procédure participative, les règles relatives aux échanges entre les parties peuvent être aménagées. De façon générale, l’usage de courriers officiels, bien connu des avocats, permettra probablement de prendre acte de nombreuses situations d’échec. Au final, la façon de travailler des avocats va changer. Mais elle Sera passionnante. Elle les placera au cœur de la justice du XXI° siècle.


Par Sylvain houret
Avocat au Barreau de Lyon, Maître de conférences associé à l’Université Jean Moulin (Lyon 3)

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